Cass. com., 12 mars 2025, n° 23-22.372 Par un arrêt rendu le 12 mars 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme qu’en régime de communauté légale, le conjoint d’un époux ayant effectué un apport à une société avec des biens communs peut revendiquer la qualité d’associé sauf renonciation tacite non équivoque. L’arrêt illustre les exigences posées par l’article 1832-2 du Code civil. Les faits : un époux revendique sa qualité d’associé près de 15 ans après la notification M. et Mme [N] s’étaient mariés sans contrat en 1970, sous le régime de la communauté légale. En 2007, M. [N] notifiait à la société Transports [N], dirigée par son épouse, son intention de se prévaloir de l’article 1832-2 du Code civil, afin de revendiquer la qualité d’associé à hauteur de la moitié des parts sociales apportées par Mme [B] au moyen de biens communs. Face au refus de sa conjointe de lui communiquer les documents sociaux, M. [N] a engagé une action judiciaire pour obtenir la reconnaissance de sa qualité d’associé. La société Transports [N] et Mme [B] faisaient valoir que M. [N] avait tacitement renoncé à ce droit, notamment parce que chacun avait constitué sa propre société sans participation croisée, traduisant une volonté d’indépendance juridique et patrimoniale. ⚖️ Le cadre juridique : l’article 1832-2 du Code civil L’article 1832-2 du Code civil reconnaît un droit au conjoint non associé d’une société à se voir reconnaître la qualité d’associé pour la moitié des parts acquises ou souscrites par son époux(se) commun en biens, sauf stipulation contraire ou renonciation. La jurisprudence constante reconnaît que cette renonciation peut être expresse ou tacite, mais doit résulter d’un comportement sans équivoque, incompatible avec l’exercice du droit d’association. 🧾 La décision : pas de renonciation établie en l’espèce La cour d’appel d’Aix-en-Provence, statuant sur renvoi après cassation, avait accueilli la demande de M. [N] et reconnu sa qualité d’associé depuis 2007. La Cour de cassation valide cette décision. La Cour de cassation rappelle en premier lieu que : « (…) si le conjoint de l’époux commun en biens qui a employé des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociables non négociables, dispose du droit de se voir reconnaître la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises, il peut renoncer à ce droit. Cette renonciation peut être tacite et résulter d’un comportement qui est, sans équivoque, incompatible avec le maintien du droit du conjoint de se voir reconnaître la qualité d’associé. » Pour la Cour de cassation, si la constitution concomitante de sociétés séparées peut témoigner d’une volonté de gestion autonome, elle ne suffit pas à établir une renonciation claire et non équivoque. En l’absence d’éléments démontrant un comportement manifestement incompatible avec la volonté d’être associé le droit de revendication subsiste. La renonciation peut par exemple résulter d’un accord familial ou d’un accord statutaire d’exclusion. Une appréciation stricte de la renonciation La Cour rappelle que le silence, l’inaction ou la distance entre les époux dans la gestion de leurs sociétés respectives ne suffisent pas à établir une renonciation tacite. Il faut démontrer un comportement incompatible, constant et non équivoque avec la volonté d’être reconnu comme associé. 📌 À retenir Attention : Si vous constituez une société soyez vigilant et anticipez cette question en prévoyant ou non la renonciation du conjoint à être associé. Il est important de déterminer si le conjoint renonce à sa qualité d’associé avant afin d’éviter ensuite un débat sur la détention des parts sociales. Les enjeux financiers plusieurs années après la création de la société peuvent être évidemment très importants. Ce type de litige peut aussi conduire à un blocage de la société. Article rédigé par Olivier Vibert
Concurrence déloyale dans la joaillerie de luxe : Absence de parasitisme par Louis Vuitton
Cass. com., 5 mars 2025, n° 23-21.157 Les faits Les sociétés Richemont et Cartier ont intenté une action contre Louis Vuitton, affirmant que la collection « Color Blossom » reprenait les codes stylistiques de la gamme de bijoux « Alhambra » (trèfle quadrilobé en pierre précieuse cerclé de métal). Ce litige entre deux acteurs majeurs du luxe portait sur la notion de parasitisme. Richemont et Cartier estimaient que cette similitude traduisait une stratégie de captation de la notoriété et du savoir-faire des collections « Alhambra », commercialisées depuis 1968. Le cadre juridique du parasitisme économique Le parasitisme est une forme de concurrence déloyale. Il est défini comme une stratégie consistant à se placer dans le sillage d’un concurrent pour bénéficier indûment de sa notoriété, de ses investissements ou de son savoir-faire. La Cour de cassation dans son arrêt apporte une définition du parasitisme conforme à sa jurisprudence antérieure : « Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis. Le parasitisme résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion. » Pour être caractérisé, le parasitisme doit réunir plusieurs éléments : La Cour de cassation fidèle à sa démarche pédagogique précise également les éléments à caractériser pour justifier d’un parasitisme : « Il appartient à celui qui se prétend victime d’actes de parasitisme d’identifier la valeur économique individualisée qu’il invoque, ainsi que la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage. Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme. » Décision de la Cour de cassation La Cour rejette le pourvoi et exclut le parasitisme. La Cour de cassation reconnaît que le modèle « Alhambra » est un produit emblématique et notoire de la marque qui représente une valeur économique individualisée. En effet, pour la Cour de cassation, il n’y a pas eu d’intention de LOUIS VUITTON de se placer dans le sillage de CARTIER. « les sociétés Vuitton se sont inspirées de la fleur quadrilobée de leur toile monogrammée, et non du modèle « Alhambra », et que c’est pour s’inscrire dans la tendance du moment, ce que la société [L] & [M] ne pouvait interdire aux autres joailliers, qu’elles ont utilisé, pour la collection « Color Blossom », des pierres semi-précieuses cerclées par un contour en métal précieux, la cour d’appel, qui, après avoir examiné séparément chacun des éléments invoqués par les sociétés du groupe Richemont, les a appréhendés dans leur globalité et qui n’a pas méconnu les ressemblances entre les deux collections, a pu, sans avoir à procéder aux recherches visées aux quatrième et cinquième branches, que ses constatations rendaient inopérantes, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la sixième branche, déduire que les sociétés Vuitton n’avaient pas eu la volonté de se placer dans le sillage des sociétés du groupe Richemont. » Cette décision confirme une jurisprudence bien établie selon laquelle l’inspiration issue d’une tendance générale du marché ne constitue pas en soi un acte de parasitisme. Conséquences et portée L’arrêt rappelle qu’en matière de concurrence dans l’industrie du luxe, l’originalité d’un design ne suffit pas à fonder une action en parasitisme. Il faut prouver une captation déloyale du travail d’un concurrent. Cette affaire illustre la difficulté pour les grandes maisons d’obtenir une protection absolue sur des motifs de design récurrents dans la joaillerie. Cette décision démontre également que l’inspiration ne constitue pas nécessairement un parasitisme et la difficulté à justifier du parasitisme. Par Olivier VIBERT Avocat, Paris Kbestan, www.kbestan.fr
Monopole bancaire et secret des affaires : litige entre franchises de pizzas à emporter
Cass. com., 5 févr. 2025, n° 23-10.953 Dans cette affaire opposant deux réseaux de restaurants de pizzas à emporter, deux thématiques centrales du droit des affaires se croisent : les limites du monopole bancaire dans les relations franchiseur-franchisé et le difficile équilibre entre secret des affaires et droit à la preuve. Si l’octroi de financements aux franchisés peut être un levier économique stratégique, il doit respecter le monopole bancaire. Par ailleurs, l’utilisation de documents confidentiels en justice pose la question des limites du secret des affaires, qui ne saurait faire obstacle au droit à la preuve. Les faits La société ABC Food, franchisée de Speed Rabbit Pizza, reprochait à Domino’s Pizza France et à son franchisé French Pizza de fausser la concurrence en leur accordant des prêts dissimulés sous forme d’apports en compte courant et des délais de paiement excessifs, pratiques interdites par le monopole bancaire. Estimant que ces avantages constituaient une pratique anticoncurrentielle, ABC Food et Speed Rabbit Pizza ont assigné Domino’s Pizza et French Pizza en cessation de ces pratiques et en paiement de dommages et intérêts. De son côté, Domino’s Pizza a demandé des dommages et intérêts en invoquant la violation du secret des affaires, arguant que ses adversaires avaient produit en justice un document interne confidentiel contenant des informations stratégiques sur son réseau de franchise. Les décisions de justice La cour d’appel de Paris avait donné raison à Domino’s Pizza, en validant l’opération de financement et en condamnant ABC Food et Speed Rabbit Pizza à 30 000 euros de dommages et intérêts pour avoir utilisé un document couvert par le secret des affaires. La Cour de cassation casse partiellement cette décision et rappelle deux principes essentiels : 1 – Monopole bancaire et réseau de distribution Le monopole bancaire interdit aux entreprises d’octroyer des crédits à titre habituel, sauf exceptions strictement encadrées (art. L. 511-5 et L. 511-7 du Code monétaire et financier). Cette interdiction existe également dans le cadre d’un réseau commercial comme la franchise notamment. Un franchiseur ne peut pas financer l’activité du franchisé en principe car ceci constituerait une activité bancaire réservée aux établissements de crédit. Cette règle a imposé à certains sociétés à la tête d’un réseau de points de vente de disposer d’une filiale bancaire pour accorder des financements aux points de vente. Une dérogation cependant au monopole bancaire existe quand une société mère finance l’activité d’une filiale ou plus largement d’une société qu’elle contrôle. Le financement par apport en compte courant ne relève pas alors du monopole bancaire. La Cour de cassation rappelle dans cette décision que l’exception permettant à une entreprise de prêter à une société qu’elle contrôle par un apport en compte courant ne s’applique que si ce contrôle existe déjà au moment du prêt. La Cour de cassation approuve ainsi la décision de la Cour d’appel qui n’avait pas retenu une infraction au monopole bancaire. La société à la tête du réseau de distribution n’était certes pas encore actionnaire du point de vente mais « par l’effet de la promesse synallagmatique de cession et d’achat de la totalité des parts sociales de la société French Pizza, la société Domino’s Pizza la contrôlait effectivement à la date de l’avance en compte courant » Le contrôle effectif de la société a donc pu intervenir dès la signature de la promesse de cession et sans attendre la cession des actions ou des parts sociales. 2️ – Secret des affaires et droit à la preuve : un équilibre à trouver L’autre volet de cette décision concernait le secret des affaires. Domino’s Pizza accusait ses adversaires d’avoir produit un document confidentiel interne dans le cadre du procès, demandant une réparation de 30 000 euros. La Cour d’appel avait validé cette demande et condamné SPEED RABBIT PIZZA. La Cour de cassation casse cette condamnation et rappelle que le secret des affaires n’est pas absolu (art. L. 151-8 du Code de commerce). En effet la Cour de cassation rappelle en premier lieu les règles en jeu à savoir les articles L. 151-8, 3°, du code de commerce et l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. « A l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national. » « Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments couverts par le secret des affaires, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. » La Cour de cassation reproche ensuite à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si la production d’une pièce protégée par le secret des affaires n’était pas indispensable à prouver les faits allégués. « Pour condamner les sociétés SRP et ABC Food à des dommages et intérêts pour avoir produit, au cours de l’instance, une pièce protégée par le secret des affaires, l’arrêt retient qu’il n’est pas démontré que la production de cette pièce constituerait une exception à la protection du secret des affaires prévues aux articles L. 151-7 et L. 151-8 du code de commerce, notamment qu’elle serait justifiée par la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la pièce produite n’était pas indispensable pour prouver les faits allégués de concurrence déloyale et si l’atteinte portée par son obtention ou sa production au secret des affaires de la société Domino’s Pizza n’était pas strictement proportionnée à l’objectif poursuivi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » La Cour de cassation rappelle donc qu’un document confidentiel couvert par le secret des affaires peut être produit en justice si son utilisation est indispensable et proportionnée au but poursuivi. Le secret des affaires : une protection relative Le secret des affaires est une protection essentielle pour les entreprises mais qui
Exequatur en France d’une condamnation civile issue d’une juridiction pénale Suisse
Dans un arrêt du 27 novembre 2024 (Pourvoi n° 23-13.795), la première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé le caractère exécutoire en France d’une décision de la Cour de justice de Genève. Cette affaire s’inscrivait dans un cadre complexe impliquant des sociétés basées aux Îles Caïmans et des infractions reconnues en Suisse. Le cœur du débat portait sur l’application de la Convention de Lugano de 2007 à une décision civile rendue par une juridiction pénale étrangère. Rappel des faits Mme [K] et son époux, M. [E], étaient actionnaires de la société suisse Avendis Capital, créée en 2001. Cette société avait fondé un fonds d’investissement, Avendis Global Fund, composé de deux sociétés de droit des Îles Caïmans : Avendis Enhanced Fixed Income Trading Ltd (AEFI) et Avendis Global Strategies Trading Ltd (AGS). En 2020, la Cour de justice de Genève a condamné Mme [K] et M. [E] à indemniser solidairement ces sociétés suite à des infractions pénales reconnues, engageant leur responsabilité civile. Le tribunal judiciaire de Paris a déclaré cette décision exécutoire en France le 2 décembre 2021, ce qui a conduit Mme [K] à former un pourvoi devant la Cour de cassation. Les arguments soulevés Plusieurs moyens de cassation étaient soulevés : La position de la Cour de cassation La Cour rejette ces arguments pour les raisons suivantes : 1- Champ d’application de la Convention de Lugano : » L’article 1er, paragraphe 1er, de la Convention de Lugano de 2007 dispose : « La présente convention s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives. » Pour la définition de son champ d’application matériel, la Convention n’opère pas de distinction entre son titre II, relatif à la compétence, et le titre III, relatif à la reconnaissance et l’exécution. Il s’en déduit que la matière des actions civiles portées devant les tribunaux répressifs entre dans le champ d’application de la Convention, tant en ce qui concerne le règlement de la compétence, que la reconnaissance et l’exécution des jugements rendus, à la suite de telles actions, par les tribunaux répressifs. Après avoir cité l’article 1er de la Convention, l’arrêt relève que le dispositif de la décision suisse émanant de la Chambre pénale d’appel et de révision comporte également des dispositions de nature civile, fondées sur les règles relatives à la responsabilité civile. De ces énonciations et constatations, abstraction faite du motif surabondant tiré de l’article 5 de la Convention, la cour d’appel a exactement déduit que la condamnation de Mme [K] par une juridiction pénale suisse au paiement d’indemnités, due en réparation de dommages subis par les sociétés AGS et AEFI, relève de la matière civile et entre dans le champ d’application de la Convention.« 2. Exécution de la décision étrangère : « Selon les articles 38 et 54 de la Convention de Lugano de 2007, sous réserve des motifs de refus énoncés aux articles 34 et 35, les décisions rendues dans un Etat contractant, et qui y sont exécutoires, sont mises à exécution dans l’Etat contractant requis, à la condition que la partie, qui sollicite la délivrance d’une déclaration constatant la force exécutoire, produise le certificat figurant à l’annexe V de la Convention. L’arrêt constate qu’il est établi, par certificat délivré le 22 octobre 2021, que la décision rendue par la Chambre pénale d’appel et de révision est exécutoire en Suisse. » Conclusion Par cette décision, la Cour de cassation confirme l’application de la Convention de Lugano aux condamnations civiles rendues par des juridictions pénales étrangères. La Cour de cassation fait ainsi une juste application de la Convention de Lugano. Par Olivier Vibert, Avocat associé, Paris Kbestan
Communication de pièces en langues étrangères devant le juge français
Le 27 novembre 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt confirmant la validité de l’utilisation de documents en langue étrangère comme éléments de preuve dans un litige, même en l’absence de traduction officielle. Cet arrêt met en évidence la souplesse de textes anciens pour être adaptés aux pratiques internationales. (Chambre commerciale, arrêt du 27/11/2024, pourvoi n° 23-10.433) Les Faits et l’Enjeu Linguistique Dans cette affaire, M. et Mme [N], anciens associés de la société Pole Position Assurances, contestaient la validité de la cession de leurs actions, qu’ils prétendaient avoir réalisée sous l’effet d’un dol. Parmi les éléments clés du litige figuraient des courriels en anglais échangés entre les parties et des tiers, notamment une compagnie d’assurance britannique. M. et Mme [N] arguaient que ces documents, rédigés en langue étrangère et non traduits en français, ne pouvaient être valablement retenus comme preuves. Ils invoquaient notamment l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui impose l’usage exclusif de la langue française dans les actes judiciaires, ainsi que le droit à un procès équitable protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’Ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice (dite ordonnance de Villers-Cotterêts) Ce texte de François Ier était destiné à rendre des décisions mieux comprises. A ces fins, cette Ordonnance prévoyait l’utilisation du français dans les procédures judiciaires françaises au lieu du latin. Ce texte toujours en vigueur ne manque pas de nous renvoyer vers une forme plus ancienne de la langue française. Version Légifrance de ce texte : François, par la grâce de Dieu, roy de France, sçavoir,faisons, à tous présens et advenir, que pour aucunement pourvoir au bien de notre justice, abréviation des proçès, et soulagement de nos sujets avons, par édit perpétuel et irrévocable, statué et ordonné, statuons et ordonnons les choses qui s’ensuivent. Article 110 Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation. Article 111 Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d’oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. La Position de la Cour de Cassation, La Cour de cassation a rejeté cet argument et validé l’usage des courriels en anglais, en précisant que : La Cour a également estimé que l’absence de traduction n’avait pas porté atteinte au droit à un procès équitable, les parties ayant eu la possibilité de présenter leurs arguments et de contester ces pièces. Une Jurisprudence en Évolution Cet arrêt s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle reconnaissant l’importance des réalités économiques et commerciales internationales. En effet, dans un contexte globalisé, l’échange de documents en langue étrangère est fréquent, notamment dans des affaires impliquant des parties internationales. La Cour de cassation avait déjà abordé cette question dans des arrêts antérieurs, en soulignant que le juge pouvait librement apprécier la nécessité d’une traduction. Cette flexibilité vise à éviter un formalisme excessif qui ralentirait les procédures sans garantir une meilleure administration de la justice. Une solution pragmatique La décision du 27 novembre 2024 reflète un pragmatisme juridique. Elle repose sur plusieurs considérations : Les Limites et Précautions à Prendre Malgré cette ouverture, certaines précautions doivent être observées : Implications pratiques pour les acteurs économiques Cet arrêt a des implications significatives pour les entreprises et leurs conseils : En validant l’usage de documents en langue étrangère dans des litiges nationaux, l’arrêt du 27 novembre 2024 concilie respect des règles procédurales françaises et pragmatisme au développement des échanges commerciaux internationaux. Cette décision démontre enfin qu’avec un texte ancien, destiné à l’époque à faire cesser l’usage judiciaire du latin, il est possible de faire évoluer les pratiques pour les adapter aux évolutions économiques sans forcément passer par une nouvelle réforme ou un nouveau texte. Si l’usage du français demeure la règle, l’Ordonnance autorise une souplesse bienvenue dans les litiges internationaux si les principes du droit à un procès équitable sont respectés. Par Olivier Vibert, avocat, Paris
Valorisation des actions dans la SAS : défaut de communication des comptes demandés par un expert
Le 27 novembre 2024, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a confirmé l’obligation pour une société par actions simplifiée (SAS) de communiquer ses documents comptables lorsque ces éléments sont nécessaires à une expertise ordonnée par un juge (pourvoi n° 23-17.536) pour valoriser ses actions. Cet arrêt s’inscrit dans un débat récurrent sur les difficultés dans le cadre d’expertises sur la valorisation des actions à obtenir les documents utiles à l’évaluation de la valeur de ses actions. Contexte et Enjeux de l’Affaire Au cœur du litige se trouvait un désaccord sur la valorisation des actions d’un ancien dirigeant et actionnaire d’une SAS. L’article 14 des statuts de cette société stipulait que la détermination du prix des actions après la cessation d’activité d’un dirigeant actionnaire relevait d’une décision collective des associés, ou d’un expert désigné en cas de désaccord. Toutefois, l’exécution de cette expertise s’est heurtée à un refus de la société de communiquer des documents financiers essentiels, couvrant plusieurs exercices comptables. Le demandeur a donc sollicité l’intervention du juge des référés pour contraindre la société à produire ces pièces. La Décision de la Cour : La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la Société qui refusait la communication des comptes. Le refus de communiquer ces documents constituait un trouble manifestement illicite pour la Cour d’appel. La Cour de cassation confirme cette analyse. Selon elle, le respect des décisions judiciaires, y compris l’accès aux pièces nécessaires pour une expertise, s’impose à toutes les parties, et ce malgré des clauses statutaires ou des règles internes qui pourraient en limiter l’accès. Ce raisonnement s’appuie notamment sur l’article 873 du code de procédure civile et l’article 1843-4 du code civil, qui prévoient que l’évaluation des droits sociaux doit se faire dans un cadre transparent lorsque les statuts ne fixent pas de méthode explicite de valorisation. Cette décision s’inscrit dans la lignée d’arrêts antérieurs favorisant la transparence dans les conflits entre associés. Pour la Cour de cassation : « il résulte de la combinaison de l’article 873 du code de procédure civile et de l’article 1843-4 du code civil que, dans l’hypothèse où les statuts ou toute convention liant les parties ne fixent pas de règles de valorisation des droits sociaux mais en prévoient seulement les modalités, une partie peut se voir enjoindre, en référé, de communiquer toute pièce que l’expert chargé de déterminer la valeur de ces droits indique comme étant nécessaire à l’exécution de sa mission. » Cet arrêt rappelle donc le pouvoir de l’expert de demander l’ensemble des pièces utiles pour sa missions et le soutien en cas de partie récalcitrante du juge des référés pour ordonner la communication de ces documents. Cet arrêt met en évidence l’importance de prévoir des mécanismes simples et clairs pour valoriser les actions d’une société. L’absence de règles conduit inévitablement à des expertises longues et donc couteuses et qui dans l’intervalle complique la vie sociale. Autant donc inclure un mode de calcul simple et efficace de la valeur des actions dans les statuts ou par un pacte d’associés pour régler rapidement ces questions. Par Olivier Vibert, Avocat, Paris
Pas de délibération d’assemblée générale dans les SAS sans une majorité simple a minima
Le 15 novembre 2024, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu une décision importante (pourvoi n°23-16.670) relative aux conditions de majorité dans les assemblées générales des Sociétés par Actions Simplifiées (SAS). Cet arrêt tranche un long débat entre liberté statutaire au sein des SAS et respect des principes fondamentaux de la gouvernance collective. La question était simple : les statuts d’une SAS pouvaient-ils prévoir qu’une décision d’assemblée générale soit adoptée par moins de voix POUR que de voix CONTRE ? La Cour de cassation a enfin définitivement répondu à cette question en prohibant le « 49.3 des SAS » soit un mécanisme permettant de faire adopter une décision contre l’avis d’une majorité des voix. Le contexte de cet arrêt. Les statuts d’une SAS stipulaient que les décisions collectives des associés étaient adoptées à la majorité d’un tiers des droits de vote des associés présents ou représentés. Sur cette base, une augmentation de capital avait été approuvée avec 46 % des voix favorables, bien que 54 % des voix s’y opposaient. Des associés minoritaires ont contesté la validité de cette décision, en considérant qu’elle ne respectait pas le principe de majorité. Ce type de clause était justifié pour certains par la flexibilité statutaire qui caractérise les SAS, structure juridique prisée pour son adaptabilité aux besoins des entreprises. Un autre courant considérait qu’il était contraire aux principes des décisions collectives d’accepter qu’une décision puisse être adoptée avec moins de voix pour que de voix contre. Une très longue procédure s’en est suivie où les juges hésitaient entre ces deux principes jusqu’à ce que l’Assemblée plénière tranche le litige par une décision didactique. Preuve de l’importance donnée à cette décision, l’audience avait été retransmise en direct sur Internet. La décision de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, La Cour de cassation commence par rappeler les règles applicables : Selon l’article articles 1844, alinéa 1er du code civil « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ». Selon l’article 1844-10, alinéas 2 et 3 du code civil, « toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du titre IX du livre III du code civil dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société est réputée non écrite. Les actes et délibérations des organes de la société pris en violation d’une telle disposition peuvent, dans la limite prévue par ce texte, être annulés. » Selon l’article L. 227-9, alinéas 1 et 2, du code de commerce, « les statuts de la société par actions simplifiée déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient. Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d’augmentation, d’amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d’une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés. » Après les rappels de ces dispositions, la Cour de cassation développe son raisonnement avant de statuer : « 10. Une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix. 11. Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d’un même scrutin, deux décisions contraires. 12. La liberté contractuelle qui régit la société par actions simplifiée ne peut s’exercer que dans le respect de la règle énoncée au paragraphe 10. 13. Il s’en déduit que la décision collective d’associés d’une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite. » Cette décision affirme donc clairement que, dans une SAS, la majorité simple des voix exprimées est une condition minimale et essentielle pour l’adoption des décisions collectives. La Cour de cassation prohibe les clauses dans les statuts qui auraient adopté une majorité inférieure à la majorité simple. Une limite est donc fixée à la liberté contractuelle des statuts. Elle renforce ainsi la protection des associés minoritaires, en évitant que des règles atypiques puissent permettre l’adoption de résolutions par une minorité d’associés à l’encontre de la volonté d’une majorité des voix. Implications pratiques pour les sociétés par actions simplifiées Les SAS se doivent donc de vérifier si leurs statuts sont conformes à la solution adoptée le 15 novembre. A défaut il est préférable de les modifier pour éviter les débats et contentieux. Si les statuts d’une SAS contiennent une telle condition de majorité, cette clause sera écartée mais les décisions prises antérieurement pourraient être annulées. Il faudra donc potentiellement aussi faire voter à nouveau l’assemblée générale pour régulariser des résolutions potentiellement nulles car adoptée par une minorité des associés. Cet arrêt définit une limite à l’autonomie contractuelle au sein des SAS. Cette limite a pour objet de protéger les actionnaires en imposant a minima la majorité simple pour adopter une résolution en assemblée générale. Par Olivier VIBERT, Avocat
L’enquête interne en cas de suspicion de harcèlement
Que faire face à une allégation de harcèlement ? L’employeur est tenu de prendre toutes les dispositions nécessaires et suffisantes en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral (C.trav.art. L. 1152-4). Déclencher une enquête interne peut être l’un des éléments permettant d’établir que vous avez pris la mesure des faits qui ont été portés à votre connaissance et que vous avez essayé de faire la lumière dessus pour prendre les mesures les plus opportunes pour préserver la sécurité et la santé de vos collaborateurs. (cass. soc.12.06.2024). L’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 relatif au harcèlement et à la violence au travail vous invite à faire suivre les plaintes d’une enquête interne. Si la dénonciation s’inscrit dans le cadre du droit d’alerte du CSE, alors vous serez tenu de procéder à cette enquête. Comment se déroule une enquête interne ? L’enquête consiste en une recherche objective, méthodique et rigoureuse relative à des gestes ou à des comportements irréguliers commis par un salarié. La recherche est basée sur des documents pertinents et des auditions. En l’absence de cadre légal, l’enquête doit être menée avec impartialité, et dans le respect des droits et de la dignité des personnes. Les investigations aboutiront à un rapport d’enquête contradictoire documenté et étayé qui éclairera la situation, permettra une prise de décision dans le but de résoudre la situation et de stopper la souffrance engendrée. Quel est le bénéfice de confier l’enquête à un cabinet externe ? La gestion d’une enquête est un enjeu sensible qui nécessite d’être envisagée comme un projet structuré, exigeant des ressources compétentes. Faire appel à un cabinet externe, pour mener l’enquête présente des garanties, notamment une expertise,une neutralité et une impartialité accrues. Partageant des valeurs communes comme l’engagement, la réactivité, l’authenticité, le soutien de proximité, le cabinet IMPULSANTE spécialisé dans la prévention des RPS et le cabinet d’avocats KBESTAN spécialisé notamment dans le droit du travail mettent en oeuvre leur expertise complémentaire dans la gestion d’une enquête juste et équitable. L’approche du cabinet KBESTAN est de sécuriser juridiquement l’employeur par l’apport de conseils surl’évaluation des risques juridiques et des mesures disciplinaires et de protection à prendre dans le respectdes procédures légales. Au-delà, de l’enquête IMPULSANTE apporte un regard externe sur les dynamiques organisationnelles mises en jeu. Article co-rédigé par Cécile GILBERT (associée au sein de KBESTAN cabinet d’avocats) et Virginie Boucher (Impulsante) et paru au magazine de l’ANDRH – Hors-Série Normandie – septembre 2024
Droit des sociétés : curatelle d’un associé et prescription de cessions de parts frauduleuses
La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la nullité de l’assemblée générale d’une société civile d’exploitation agricole pour laquelle un curateur n’avait pas été convoqué et sur le point de départ du délai de prescription pour demander la nullité de cessions de parts frauduleuses.
Clôture d’un compte courant garanti par un cautionnement : revirement de la cour de cassation.
L’ouverture ou le prononcé d’une liquidation judiciaire n’a pas pour effet d’entraîner la clôture du compte courant du débiteur.