L’action paulienne d’un créancier contre les enfants de deux cautions qui ont organisé leur insolvabilité ne doit pas se heurter à la disproportion des cautionnements résultant de la fraude paulienne.
Une banque consent deux prêts le 14 décembre 2010 à une société.
Ces prêts sont garantis par les cautionnements d’un couple M. et Mme. F.
La Société a été mise en liquidation judiciaire le 19 mars 2013.
La banque a assigné les cautions à la suite de cette liquidation judiciaire.
Lors de la procédure contre les cautions, la banque découvre qu’en juin 2012 les cautions avaient constitué une Société civile immobilière et apporté un bien immobilier à la SCI nouvellement constituée.
Le même jour, les cautions ont fait une donation auprès de leurs enfants de la nue-propriété sur la quasi-totalité de leurs parts. Sur 450 parts les cautions ont gardé chacun une part en pleine propriété. Sur les 448 autres parts sociales, les cautions ne détenaient plus que l’usufruit, leurs enfants détenant la nue-propriété.
La banque a estimé que ces actes pouvaient constituer une organisation par les cautions de leur insolvabilité.
La banque a alors assigné les cautions et les enfants au titre de la fraude paulienne. Cette action a été engagée contre les enfants des cautions en octobre et novembre 2016.
Le 12 juillet 2018, dans l’affaire opposant la banque aux cautions, le Tribunal a jugé que les cautionnements étaient disproportionnés aux biens et revenus des cautions.
Dans l’autre instance portant sur la fraude paulienne, la Cour d’appel de CHAMBERY a rejeté les demandes de la banque. La Cour d’appel a jugé que la banque ne justifiait pas d’une créance certaine car sa créance au titre des cautionnements avaient été rejetées dans l’autre affaire pour une disproportion manifeste.
La Banque a saisi la Cour de cassation.
La question soulevée par ce pourvoi était de savoir si la Cour d’appel pouvait valablement se fonder sur le rejet des demandes contre les cautions pour cause de disproportion des engagements.
La Cour de cassation censure la décision de la Cour d’appel de Chambéry.
La Cour de cassation se fonde sur l’article 1341-2 du code civil (anciennement 1167 du code civil).
Pour exercer une action paulienne, il est nécessaire de pouvoir justifier d’une action certaine en son principe.
Cependant l’action demeure recevable si le créancier ne peut justifier de la certitude de sa créance du fait de la fraude paulienne.
« Il résulte de ce texte que, si le créancier qui exerce l’action paulienne doit invoquer une créance certaine au moins en son principe à la date de l’acte argué de fraude et au moment où le juge statue sur son action, il est néanmoins recevable à exercer celle-ci lorsque l’absence de certitude de sa créance est imputée aux agissements frauduleux qui fondent l’action paulienne. »
En l’espèce, la banque a été déboutée de son action paulienne contre les enfants car sa créance contre les cautions avait été jugée incertaine.
La banque avait opposé le fait que la disproportion manifeste des cautionnements résultait justement de l’apport à la SCI puis des donations de la nue-propriété sur les parts sociales.
Pour la banque, les cautionnements auraient été proportionnés si les donations n’étaient pas intervenues. En conséquence la banque considérait que la disproportion ne pouvait alors pas fonder le rejet de l’action paulienne.
La Cour de cassation censure la décision de la Cour d’appel de CHAMBERY.
Pour la Cour de cassation, la Cour d’appel ne pouvait pas juger incertaine la créance de la banque sur la disproportion si les fraudes pauliennes pouvaient être à l’origine de cette disproportion.
« En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme l’y invitait la banque en se prévalant de l’article L. 341-4 devenu L. 343-4 du code de la consommation, si, en l’absence des actes que celle-ci arguait de fraude paulienne, le patrimoine des cautions ne leur aurait pas permis de faire face à leur obligation au moment où elles ont été appelées et si, par conséquent, la banque ne pouvait pas, en dépit de la disproportion de leurs engagements au moment de leur souscription, invoquer un principe certain de créance contre eux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »
La Cour de cassation réaffirme donc ainsi que les actes constituant une fraude paulienne ne doivent pas rendre incertain la créance.
II semble judicieux de neutraliser l’impact de l’organisation par les débiteurs ou les cautions de leur insolvabilité.
Cette solution sécurise quelque peu le droit des créanciers. L’action paulienne se heurterait sinon régulièrement à l’appauvrissement né des actes commis en fraude des droits du créancier.
Cette solution ne peut qu’être approuvée car sinon le créancier verrait ses droits affectés par l’organisation de l’insolvabilité des cautions ce qui ne serait pas acceptable.
Cette décision semble aussi ne plus exiger que la créance soit certaine au moment où le juge statue sur l’action paulienne.
Un juge pouvait statuer sur une action paulienne uniquement si la créance principale était certaine.
La Cour de cassation semble se satisfaire désormais du simple fait que la créance soit certaine en son principe.
Cet autre apport de cette décision de la Chambre commerciale pourrait lui susciter davantage de débats en doctrine.