La Cour de cassation a été amenée à se prononcer sur la nullité de l’assemblée générale d’une société civile d’exploitation agricole pour laquelle un curateur n’avait pas été convoqué et sur le point de départ du délai de prescription pour demander la nullité de cessions de parts frauduleuses. (Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 18 septembre 2024, 22-24.646, Publié au bulletin)
Le litige portait sur une société d’exploitation agricole dont une associée demandait la nullité de cessions de parts ainsi que la nullité d’une assemblée générale.
Mme A et m. B ont constitué une société civile d’exploitation agricole. Monsieur B a été placé sous curatelle.
Les parts de Mme A ont été cédées à différentes personnes par des actes de cession du 1er mars 2006, 8 mai 2007 et 23 décembre 2008.
Cet arrêt se prononce sur la question de la nullité de l’assemblée générale puis sur le point de départ du délai de prescription.
Sur la nullité de l’assemblée générale,
Mme A reprochait à la cour d’appel de ne pas avoir invalidé une assemblée générale alors que le curateur d’un associé n’avait pas été convoqué.
La Cour de cassation rappelle que l’associé d’une société civile doit être assisté de son curateur lors du vote de certaines décisions d’assemblée générale quand celles-ci portent sur le patrimoine de l’associé protégé.
La Cour se réfère à la colonne 2 de l’annexe 2 du décret 2008-1484.
Ce texte définit comme acte de disposition notamment les actes relatifs aux groupements dotés de la personnalité morale relatifs à détermination du vote sur les ordres du jour suivants :
« Reprise des apports – Modification des statuts – prorogation et dissolution du groupement – fusion – scission – apport partiel d’actifs – agrément d’un associé – augmentation et réduction du capital – changement d’objet social – emprunt et constitution de sûreté – vente d’un élément d’actif immobilisé – aggravation des engagements des associés ; »
Les cessions et nantissement de titres sont également qualifiés d’actes de disposition par ce même tableau.
Le curateur doit donc être convoqué à l’assemblée générale si son ordre du jour porte sur l’un des points visés ci-avant.
La Cour de cassation énonce ensuite que la nullité de cette assemblée ne peut être demandée que par la personne sous curatelle ou par son curateur.
La nullité de l’assemblée générale au motif de la non convocation du curateur ne pouvait donc être invoquée par une autre associée.
Cette solution n’est pas nouvelle mais cet arrêt a le mérite de clarifier cette question. La nullité inhérente à la protection d’une personne majeure est en effet généralement qualifiée de nullité relative qui ne peut donc qu’être invoquée par la personne protégée.
Sur la prescription de l’action en nullité des cessions de part,
L’associé reprochait ensuite à la Cour d’appel d’avoir déclaré prescrite ses demandes en nullité des parts sociales.
La Cour d’appel avait fait partir le délai de prescription de la publicité au registre du commerce et des sociétés de la cession.
L’associée considérait que ce point de départ ne pouvait être retenu que vis-à-vis des tiers. Pour la personne qui demandait la nullité des cessions, le délai commençait à courir à partir de la découverte de la fraude.
La Cour de cassation rappelle que « le délai de prescription de l’action en nullité d’un acte de cession de parts sociales pour fraude ne court qu’à compter du jour de sa découverte. »
La Cour de cassation poursuit en énonçant que « la présomption de connaissance de l’acte résultant de sa publication au registre du commerce et des sociétés, laquelle n’est destinée qu’à assurer l’opposabilité de cet acte aux tiers, ne s’applique pas dans les rapports entre les parties à l’acte ».
La Cour a estimé que l’associé qui contestait les cessions pouvait à nouveau agir, car le délai de prescription de l’action en nullité n’avait pas commencé à courir. En effet, la simple publication des cessions au registre du commerce ne suffit pas à faire courir ce délai si l’associé n’avait pas connaissance de la fraude. Le délai pour contester une cession frauduleuse commence donc à courir à partir de la date de la découverte de la fraude.
Cette solution sur la prescription offre une plus grande souplesse au Juge et permet donc de sanctionner des actes frauduleux sans faire courir trop rapidement le délai de prescription.
La découverte de la fraude reste cependant complexe à démontrer et ce point sera certainement débattu dans ce type de contentieux.
Il sera important de pouvoir donc veiller à conserver toute trace écrite permettant de dater la découverte de la fraude pour justifier du point de départ du délai de prescription (e-mails, courriers du banquier, lettre de conseils, …).