Cass. com., 12 mars 2025, n° 23-22.372
Par un arrêt rendu le 12 mars 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme qu’en régime de communauté légale, le conjoint d’un époux ayant effectué un apport à une société avec des biens communs peut revendiquer la qualité d’associé sauf renonciation tacite non équivoque. L’arrêt illustre les exigences posées par l’article 1832-2 du Code civil.
Les faits : un époux revendique sa qualité d’associé près de 15 ans après la notification
M. et Mme [N] s’étaient mariés sans contrat en 1970, sous le régime de la communauté légale. En 2007, M. [N] notifiait à la société Transports [N], dirigée par son épouse, son intention de se prévaloir de l’article 1832-2 du Code civil, afin de revendiquer la qualité d’associé à hauteur de la moitié des parts sociales apportées par Mme [B] au moyen de biens communs.
Face au refus de sa conjointe de lui communiquer les documents sociaux, M. [N] a engagé une action judiciaire pour obtenir la reconnaissance de sa qualité d’associé.
La société Transports [N] et Mme [B] faisaient valoir que M. [N] avait tacitement renoncé à ce droit, notamment parce que chacun avait constitué sa propre société sans participation croisée, traduisant une volonté d’indépendance juridique et patrimoniale.
⚖️ Le cadre juridique : l’article 1832-2 du Code civil
L’article 1832-2 du Code civil reconnaît un droit au conjoint non associé d’une société à se voir reconnaître la qualité d’associé pour la moitié des parts acquises ou souscrites par son époux(se) commun en biens, sauf stipulation contraire ou renonciation.
La jurisprudence constante reconnaît que cette renonciation peut être expresse ou tacite, mais doit résulter d’un comportement sans équivoque, incompatible avec l’exercice du droit d’association.
🧾 La décision : pas de renonciation établie en l’espèce
La cour d’appel d’Aix-en-Provence, statuant sur renvoi après cassation, avait accueilli la demande de M. [N] et reconnu sa qualité d’associé depuis 2007.
La Cour de cassation valide cette décision.
La Cour de cassation rappelle en premier lieu que :
« (…) si le conjoint de l’époux commun en biens qui a employé des biens communs pour faire un apport à une société ou acquérir des parts sociables non négociables, dispose du droit de se voir reconnaître la qualité d’associé pour la moitié des parts souscrites ou acquises, il peut renoncer à ce droit. Cette renonciation peut être tacite et résulter d’un comportement qui est, sans équivoque, incompatible avec le maintien du droit du conjoint de se voir reconnaître la qualité d’associé. »
Pour la Cour de cassation, si la constitution concomitante de sociétés séparées peut témoigner d’une volonté de gestion autonome, elle ne suffit pas à établir une renonciation claire et non équivoque. En l’absence d’éléments démontrant un comportement manifestement incompatible avec la volonté d’être associé le droit de revendication subsiste. La renonciation peut par exemple résulter d’un accord familial ou d’un accord statutaire d’exclusion.
Une appréciation stricte de la renonciation
La Cour rappelle que le silence, l’inaction ou la distance entre les époux dans la gestion de leurs sociétés respectives ne suffisent pas à établir une renonciation tacite. Il faut démontrer un comportement incompatible, constant et non équivoque avec la volonté d’être reconnu comme associé.
📌 À retenir
- En régime de communauté, l’époux(se) non associé(e) peut revendiquer la qualité d’associé à hauteur de la moitié des parts acquises avec des biens communs (art. 1832-2 C. civ.).
- La renonciation à ce droit peut être tacite, mais elle doit être sans équivoque et résulter d’un comportement incompatible avec la qualité d’associé.
- La simple autonomie des époux dans leurs affaires ou la création de sociétés distinctes ne suffit pas à démontrer une telle renonciation.
Attention : Si vous constituez une société soyez vigilant et anticipez cette question en prévoyant ou non la renonciation du conjoint à être associé.
Il est important de déterminer si le conjoint renonce à sa qualité d’associé avant afin d’éviter ensuite un débat sur la détention des parts sociales. Les enjeux financiers plusieurs années après la création de la société peuvent être évidemment très importants. Ce type de litige peut aussi conduire à un blocage de la société.
Article rédigé par Olivier Vibert