Révoquer un dirigeant en SAS : règles statutaires et engagements personnels extra-statutaires des associés

Révoquer un dirigeant en SAS : règles statutaires et engagements personnels extra-statutaires des associés

Cass. com., 9 juillet 2025, n°24-10.428 et n°23-21.160

La Cour de cassation a clarifié avec pédagogie dans deux arrêts les limites et articulations entre dispositions statutaires et engagements extra-statutaires en matière de révocation des dirigeants dans les SAS. Dans les SAS, les statuts ne se contournent pas – mais les associés peuvent prendre des engagements additionnels hors statuts et hors décision d’assemblée générale.

1. Révocation ad nutum : quand les statuts l’emportent sur tout le reste

Dans l’affaire n°24-10.428, M. L.-V. avait été nommé directeur général de la société Ile-de-France démolition par une assemblée générale mixte du 2 octobre 2019. Cette assemblée avait adopté, à l’unanimité, une annexe précisant les conditions particulières et restrictives de révocation du directeur général, divergeant explicitement des statuts initiaux prévoyant une révocation « ad nutum » ( ou révocation sans motif).

Le 26 juin 2020, la société Newco Green Holding, agissant en qualité de présidente de la société Ile-de-France démolition, avait révoqué M. L.-V. sans invoquer de motif précis. Ce dernier a contesté sa révocation devant les tribunaux, réclamant des indemnités pour révocation sans juste motif en se fondant sur l’annexe adoptée par l’assemblée générale.

La Cour d’appel de Paris lui a donné d’abord raison, considérant que l’annexe, bien qu’extra-statutaire, avait valeur contraignante en raison de son adoption unanime.

La Cour de cassation a cassé cette analyse, rappelant avec clarté la primauté absolue des dispositions statutaires :

« Il résulte de ces textes que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles celle-ci est dirigée, notamment les modalités de révocation de ses dirigeants. Si une décision des associés peut compléter les statuts sur ce point, elle ne peut y déroger, quand bien même aurait-elle été prise à l’unanimité. »

Elle ajoute ensuite :

« En statuant ainsi, alors que la décision collective des associés organisant différemment les conditions de révocation, même prise à l’unanimité, ne pouvait valablement contredire l’article 23.2 des statuts prévoyant expressément la révocation ad nutum du directeur général, la cour d’appel a violé les articles L. 227-1 et L. 227-5 du code de commerce. »

Seuls les statuts définissent les conditions de révocation. Toute dérogation suppose une modification formelle des statuts.

La haute juridiction réaffirme ainsi une règle fondamentale : les règles statutaires ont force obligatoire et exclusive dans l’organisation de la gouvernance de la SAS. Les résolutions, annexes ou décisions collectives n’ont aucune portée juridique si elles contreviennent aux statuts.

Accepter l’inverse reviendrait à permettre une instabilité du cadre statutaire au gré d’assemblées dérogeant aux statuts et une moins bonne lisibilité des règles applicables à la vie de l’entreprise.

2. L’engagement personnel : la voie parallèle de la souplesse contractuelle

À l’inverse, l’arrêt n°23-21.160 démontre que l’engagement personnel extra-statutaire reste une voie pleinement ouverte pour moduler la relation entre les associés ou avec le dirigeant, sans remettre en cause les statuts de la SAS.

Dans cette affaire, M. O. avait été nommé directeur général de la société Sogecler par l’associé unique, avec la garantie d’une indemnité forfaitaire prévue dans une résolution en cas de révocation anticipée. Parallèlement, dans un protocole d’investissement signé le même jour, les associés majoritaires (MM. B., L. et la société Troizef) s’étaient personnellement engagés à assurer cette nomination et à faire prévoir une telle indemnité dans la décision de nomination.

Révoqué avant l’expiration du délai convenu, M. O. avait réclamé à la société Sogecler et aux associés majoritaires le versement de l’indemnité prévue.

La Cour d’appel de Nancy a rejeté la demande au motif que cet engagement était incompatible avec les statuts, qui prévoyaient une révocation sans indemnité.

Là encore, la Cour de cassation casse la décision d’appel. L’engagement personnel pris par des associés ou des tiers n’est pas soumis aux règles statutaires, car il n’engage pas la société elle-même.

Pour la Cour de cassation « cette disposition extra-statutaire ne renferme qu’un engagement personnel des signataires du protocole d’investissement de faire le nécessaire pour que la décision de nomination de M. [O] en qualité de directeur général de la Sogecler prévoie le versement d’une indemnité forfaitaire en cas de révocation ou de réduction de ses pouvoirs avant l’expiration d’un délai de deux ans, de sorte qu’elle n’est pas contraire à l’article 16 des statuts de la Sogecler ».

Cet arrêt distingue donc clairement le régime interne de la SAS (réglementé par les statuts) et le régime contractuel privé entre personnes liées à la SAS. Il renforce la portée des engagements extra-statutaires en affirmant leur efficacité, dès lors qu’ils n’empiètent pas sur les prérogatives de la société ou sur les modalités statutaires de direction.

3. Deux décisions, une règle claire

Ces deux arrêts, rendus le même jour, s’éclairent l’un l’autre et construisent une grille de lecture utile pour la pratique.

Les statuts forment un socle garant de la sécurité juridique et de la transparence pour les tiers, tandis que les engagements extra-statutaires permettent une personnalisation contractuelle entre associés ou investisseurs, dans des espaces privés et volontaires.

Des engagements dérogatoires aux statuts ne peuvent être pris par une décision d’assemblée générale mais ils peuvent être pris par un ou plusieurs associés dans une convention ou un contrat séparé.

La lecture conjointe de ces deux décisions permet en effet de conclure que les actes extra-statutaires peuvent prendre des engagements distincts des règles statutaires mais une décision d’assemblée générale ne peut valoir dérogation exceptionnelle aux statuts même si celle-ci a été prise à l’unanimité.

Cette solution doit être approuvée car admettre une dérogation aux règles statutaires par une décision collective des associés créerait une incertitude juridique notamment pour les actionnaires nouveaux ou les tiers et un défaut de lisibilité des règles sociales.

Les règles statutaires prévalent. Si les associés sont tous d’accord pour changer les règles, ils doivent donc les modifier mais ils ne peuvent en aucun cas y déroger par une décision d’assemblée générale.

En revanche, si un associé souhaite prendre personnellement un engagement complémentaire aux statuts alors il a la possibilité de le faire mais par un contrat séparé.

Conclusion

Cette solution impacte les praticiens du droit des sociétés mais aussi les dirigeants ou investisseurs.

Ce souhait de clarification didactique de la chambre commerciale doit être salué.

Les SAS offrent une grande liberté statutaire, mais cette liberté est encadrée par une rigueur formelle que la Cour de cassation vient opportunément rappeler.

 Les statuts sont le socle juridique de la société, intangibles sauf modification formelle de ces statuts.

Les engagements extra-statutaires constituent des instruments utiles et efficaces de protection ou de négociation entre associés, à condition d’être bien distincts des règles statutaires et rédigés avec soin.

Révoquer un dirigeant ? Pas sans lire les statuts. Mais aussi… pas sans relire les engagements contractuels.

Par Olivier Vibert

Avocat associé au sein du cabinet KBESTAN, cabinet en droit des sociétés, droit social et droit commercial à Evreux et Paris.

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