Cass. com., 5 mars 2025, n° 23-21.157 Les faits Les sociétés Richemont et Cartier ont intenté une action contre Louis Vuitton, affirmant que la collection « Color Blossom » reprenait les codes stylistiques de la gamme de bijoux « Alhambra » (trèfle quadrilobé en pierre précieuse cerclé de métal). Ce litige entre deux acteurs majeurs du luxe portait sur la notion de parasitisme. Richemont et Cartier estimaient que cette similitude traduisait une stratégie de captation de la notoriété et du savoir-faire des collections « Alhambra », commercialisées depuis 1968. Le cadre juridique du parasitisme économique Le parasitisme est une forme de concurrence déloyale. Il est défini comme une stratégie consistant à se placer dans le sillage d’un concurrent pour bénéficier indûment de sa notoriété, de ses investissements ou de son savoir-faire. La Cour de cassation dans son arrêt apporte une définition du parasitisme conforme à sa jurisprudence antérieure : « Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis. Le parasitisme résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion. » Pour être caractérisé, le parasitisme doit réunir plusieurs éléments : La Cour de cassation fidèle à sa démarche pédagogique précise également les éléments à caractériser pour justifier d’un parasitisme : « Il appartient à celui qui se prétend victime d’actes de parasitisme d’identifier la valeur économique individualisée qu’il invoque, ainsi que la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage. Les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme. » Décision de la Cour de cassation La Cour rejette le pourvoi et exclut le parasitisme. La Cour de cassation reconnaît que le modèle « Alhambra » est un produit emblématique et notoire de la marque qui représente une valeur économique individualisée. En effet, pour la Cour de cassation, il n’y a pas eu d’intention de LOUIS VUITTON de se placer dans le sillage de CARTIER. « les sociétés Vuitton se sont inspirées de la fleur quadrilobée de leur toile monogrammée, et non du modèle « Alhambra », et que c’est pour s’inscrire dans la tendance du moment, ce que la société [L] & [M] ne pouvait interdire aux autres joailliers, qu’elles ont utilisé, pour la collection « Color Blossom », des pierres semi-précieuses cerclées par un contour en métal précieux, la cour d’appel, qui, après avoir examiné séparément chacun des éléments invoqués par les sociétés du groupe Richemont, les a appréhendés dans leur globalité et qui n’a pas méconnu les ressemblances entre les deux collections, a pu, sans avoir à procéder aux recherches visées aux quatrième et cinquième branches, que ses constatations rendaient inopérantes, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la sixième branche, déduire que les sociétés Vuitton n’avaient pas eu la volonté de se placer dans le sillage des sociétés du groupe Richemont. » Cette décision confirme une jurisprudence bien établie selon laquelle l’inspiration issue d’une tendance générale du marché ne constitue pas en soi un acte de parasitisme. Conséquences et portée L’arrêt rappelle qu’en matière de concurrence dans l’industrie du luxe, l’originalité d’un design ne suffit pas à fonder une action en parasitisme. Il faut prouver une captation déloyale du travail d’un concurrent. Cette affaire illustre la difficulté pour les grandes maisons d’obtenir une protection absolue sur des motifs de design récurrents dans la joaillerie. Cette décision démontre également que l’inspiration ne constitue pas nécessairement un parasitisme et la difficulté à justifier du parasitisme. Par Olivier VIBERT Avocat, Paris Kbestan, www.kbestan.fr
Monopole bancaire et secret des affaires : litige entre franchises de pizzas à emporter
Cass. com., 5 févr. 2025, n° 23-10.953 Dans cette affaire opposant deux réseaux de restaurants de pizzas à emporter, deux thématiques centrales du droit des affaires se croisent : les limites du monopole bancaire dans les relations franchiseur-franchisé et le difficile équilibre entre secret des affaires et droit à la preuve. Si l’octroi de financements aux franchisés peut être un levier économique stratégique, il doit respecter le monopole bancaire. Par ailleurs, l’utilisation de documents confidentiels en justice pose la question des limites du secret des affaires, qui ne saurait faire obstacle au droit à la preuve. Les faits La société ABC Food, franchisée de Speed Rabbit Pizza, reprochait à Domino’s Pizza France et à son franchisé French Pizza de fausser la concurrence en leur accordant des prêts dissimulés sous forme d’apports en compte courant et des délais de paiement excessifs, pratiques interdites par le monopole bancaire. Estimant que ces avantages constituaient une pratique anticoncurrentielle, ABC Food et Speed Rabbit Pizza ont assigné Domino’s Pizza et French Pizza en cessation de ces pratiques et en paiement de dommages et intérêts. De son côté, Domino’s Pizza a demandé des dommages et intérêts en invoquant la violation du secret des affaires, arguant que ses adversaires avaient produit en justice un document interne confidentiel contenant des informations stratégiques sur son réseau de franchise. Les décisions de justice La cour d’appel de Paris avait donné raison à Domino’s Pizza, en validant l’opération de financement et en condamnant ABC Food et Speed Rabbit Pizza à 30 000 euros de dommages et intérêts pour avoir utilisé un document couvert par le secret des affaires. La Cour de cassation casse partiellement cette décision et rappelle deux principes essentiels : 1 – Monopole bancaire et réseau de distribution Le monopole bancaire interdit aux entreprises d’octroyer des crédits à titre habituel, sauf exceptions strictement encadrées (art. L. 511-5 et L. 511-7 du Code monétaire et financier). Cette interdiction existe également dans le cadre d’un réseau commercial comme la franchise notamment. Un franchiseur ne peut pas financer l’activité du franchisé en principe car ceci constituerait une activité bancaire réservée aux établissements de crédit. Cette règle a imposé à certains sociétés à la tête d’un réseau de points de vente de disposer d’une filiale bancaire pour accorder des financements aux points de vente. Une dérogation cependant au monopole bancaire existe quand une société mère finance l’activité d’une filiale ou plus largement d’une société qu’elle contrôle. Le financement par apport en compte courant ne relève pas alors du monopole bancaire. La Cour de cassation rappelle dans cette décision que l’exception permettant à une entreprise de prêter à une société qu’elle contrôle par un apport en compte courant ne s’applique que si ce contrôle existe déjà au moment du prêt. La Cour de cassation approuve ainsi la décision de la Cour d’appel qui n’avait pas retenu une infraction au monopole bancaire. La société à la tête du réseau de distribution n’était certes pas encore actionnaire du point de vente mais « par l’effet de la promesse synallagmatique de cession et d’achat de la totalité des parts sociales de la société French Pizza, la société Domino’s Pizza la contrôlait effectivement à la date de l’avance en compte courant » Le contrôle effectif de la société a donc pu intervenir dès la signature de la promesse de cession et sans attendre la cession des actions ou des parts sociales. 2️ – Secret des affaires et droit à la preuve : un équilibre à trouver L’autre volet de cette décision concernait le secret des affaires. Domino’s Pizza accusait ses adversaires d’avoir produit un document confidentiel interne dans le cadre du procès, demandant une réparation de 30 000 euros. La Cour d’appel avait validé cette demande et condamné SPEED RABBIT PIZZA. La Cour de cassation casse cette condamnation et rappelle que le secret des affaires n’est pas absolu (art. L. 151-8 du Code de commerce). En effet la Cour de cassation rappelle en premier lieu les règles en jeu à savoir les articles L. 151-8, 3°, du code de commerce et l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. « A l’occasion d’une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n’est pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national. » « Le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments couverts par le secret des affaires, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. » La Cour de cassation reproche ensuite à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si la production d’une pièce protégée par le secret des affaires n’était pas indispensable à prouver les faits allégués. « Pour condamner les sociétés SRP et ABC Food à des dommages et intérêts pour avoir produit, au cours de l’instance, une pièce protégée par le secret des affaires, l’arrêt retient qu’il n’est pas démontré que la production de cette pièce constituerait une exception à la protection du secret des affaires prévues aux articles L. 151-7 et L. 151-8 du code de commerce, notamment qu’elle serait justifiée par la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la pièce produite n’était pas indispensable pour prouver les faits allégués de concurrence déloyale et si l’atteinte portée par son obtention ou sa production au secret des affaires de la société Domino’s Pizza n’était pas strictement proportionnée à l’objectif poursuivi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. » La Cour de cassation rappelle donc qu’un document confidentiel couvert par le secret des affaires peut être produit en justice si son utilisation est indispensable et proportionnée au but poursuivi. Le secret des affaires : une protection relative Le secret des affaires est une protection essentielle pour les entreprises mais qui
Exequatur en France d’une condamnation civile issue d’une juridiction pénale Suisse
Dans un arrêt du 27 novembre 2024 (Pourvoi n° 23-13.795), la première chambre civile de la Cour de cassation a confirmé le caractère exécutoire en France d’une décision de la Cour de justice de Genève. Cette affaire s’inscrivait dans un cadre complexe impliquant des sociétés basées aux Îles Caïmans et des infractions reconnues en Suisse. Le cœur du débat portait sur l’application de la Convention de Lugano de 2007 à une décision civile rendue par une juridiction pénale étrangère. Rappel des faits Mme [K] et son époux, M. [E], étaient actionnaires de la société suisse Avendis Capital, créée en 2001. Cette société avait fondé un fonds d’investissement, Avendis Global Fund, composé de deux sociétés de droit des Îles Caïmans : Avendis Enhanced Fixed Income Trading Ltd (AEFI) et Avendis Global Strategies Trading Ltd (AGS). En 2020, la Cour de justice de Genève a condamné Mme [K] et M. [E] à indemniser solidairement ces sociétés suite à des infractions pénales reconnues, engageant leur responsabilité civile. Le tribunal judiciaire de Paris a déclaré cette décision exécutoire en France le 2 décembre 2021, ce qui a conduit Mme [K] à former un pourvoi devant la Cour de cassation. Les arguments soulevés Plusieurs moyens de cassation étaient soulevés : La position de la Cour de cassation La Cour rejette ces arguments pour les raisons suivantes : 1- Champ d’application de la Convention de Lugano : » L’article 1er, paragraphe 1er, de la Convention de Lugano de 2007 dispose : « La présente convention s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives. » Pour la définition de son champ d’application matériel, la Convention n’opère pas de distinction entre son titre II, relatif à la compétence, et le titre III, relatif à la reconnaissance et l’exécution. Il s’en déduit que la matière des actions civiles portées devant les tribunaux répressifs entre dans le champ d’application de la Convention, tant en ce qui concerne le règlement de la compétence, que la reconnaissance et l’exécution des jugements rendus, à la suite de telles actions, par les tribunaux répressifs. Après avoir cité l’article 1er de la Convention, l’arrêt relève que le dispositif de la décision suisse émanant de la Chambre pénale d’appel et de révision comporte également des dispositions de nature civile, fondées sur les règles relatives à la responsabilité civile. De ces énonciations et constatations, abstraction faite du motif surabondant tiré de l’article 5 de la Convention, la cour d’appel a exactement déduit que la condamnation de Mme [K] par une juridiction pénale suisse au paiement d’indemnités, due en réparation de dommages subis par les sociétés AGS et AEFI, relève de la matière civile et entre dans le champ d’application de la Convention.« 2. Exécution de la décision étrangère : « Selon les articles 38 et 54 de la Convention de Lugano de 2007, sous réserve des motifs de refus énoncés aux articles 34 et 35, les décisions rendues dans un Etat contractant, et qui y sont exécutoires, sont mises à exécution dans l’Etat contractant requis, à la condition que la partie, qui sollicite la délivrance d’une déclaration constatant la force exécutoire, produise le certificat figurant à l’annexe V de la Convention. L’arrêt constate qu’il est établi, par certificat délivré le 22 octobre 2021, que la décision rendue par la Chambre pénale d’appel et de révision est exécutoire en Suisse. » Conclusion Par cette décision, la Cour de cassation confirme l’application de la Convention de Lugano aux condamnations civiles rendues par des juridictions pénales étrangères. La Cour de cassation fait ainsi une juste application de la Convention de Lugano. Par Olivier Vibert, Avocat associé, Paris Kbestan
Communication de pièces en langues étrangères devant le juge français
Le 27 novembre 2024, la Cour de cassation a rendu un arrêt confirmant la validité de l’utilisation de documents en langue étrangère comme éléments de preuve dans un litige, même en l’absence de traduction officielle. Cet arrêt met en évidence la souplesse de textes anciens pour être adaptés aux pratiques internationales. (Chambre commerciale, arrêt du 27/11/2024, pourvoi n° 23-10.433) Les Faits et l’Enjeu Linguistique Dans cette affaire, M. et Mme [N], anciens associés de la société Pole Position Assurances, contestaient la validité de la cession de leurs actions, qu’ils prétendaient avoir réalisée sous l’effet d’un dol. Parmi les éléments clés du litige figuraient des courriels en anglais échangés entre les parties et des tiers, notamment une compagnie d’assurance britannique. M. et Mme [N] arguaient que ces documents, rédigés en langue étrangère et non traduits en français, ne pouvaient être valablement retenus comme preuves. Ils invoquaient notamment l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, qui impose l’usage exclusif de la langue française dans les actes judiciaires, ainsi que le droit à un procès équitable protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’Ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice (dite ordonnance de Villers-Cotterêts) Ce texte de François Ier était destiné à rendre des décisions mieux comprises. A ces fins, cette Ordonnance prévoyait l’utilisation du français dans les procédures judiciaires françaises au lieu du latin. Ce texte toujours en vigueur ne manque pas de nous renvoyer vers une forme plus ancienne de la langue française. Version Légifrance de ce texte : François, par la grâce de Dieu, roy de France, sçavoir,faisons, à tous présens et advenir, que pour aucunement pourvoir au bien de notre justice, abréviation des proçès, et soulagement de nos sujets avons, par édit perpétuel et irrévocable, statué et ordonné, statuons et ordonnons les choses qui s’ensuivent. Article 110 Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence desdits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation. Article 111 Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d’oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. La Position de la Cour de Cassation, La Cour de cassation a rejeté cet argument et validé l’usage des courriels en anglais, en précisant que : La Cour a également estimé que l’absence de traduction n’avait pas porté atteinte au droit à un procès équitable, les parties ayant eu la possibilité de présenter leurs arguments et de contester ces pièces. Une Jurisprudence en Évolution Cet arrêt s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle reconnaissant l’importance des réalités économiques et commerciales internationales. En effet, dans un contexte globalisé, l’échange de documents en langue étrangère est fréquent, notamment dans des affaires impliquant des parties internationales. La Cour de cassation avait déjà abordé cette question dans des arrêts antérieurs, en soulignant que le juge pouvait librement apprécier la nécessité d’une traduction. Cette flexibilité vise à éviter un formalisme excessif qui ralentirait les procédures sans garantir une meilleure administration de la justice. Une solution pragmatique La décision du 27 novembre 2024 reflète un pragmatisme juridique. Elle repose sur plusieurs considérations : Les Limites et Précautions à Prendre Malgré cette ouverture, certaines précautions doivent être observées : Implications pratiques pour les acteurs économiques Cet arrêt a des implications significatives pour les entreprises et leurs conseils : En validant l’usage de documents en langue étrangère dans des litiges nationaux, l’arrêt du 27 novembre 2024 concilie respect des règles procédurales françaises et pragmatisme au développement des échanges commerciaux internationaux. Cette décision démontre enfin qu’avec un texte ancien, destiné à l’époque à faire cesser l’usage judiciaire du latin, il est possible de faire évoluer les pratiques pour les adapter aux évolutions économiques sans forcément passer par une nouvelle réforme ou un nouveau texte. Si l’usage du français demeure la règle, l’Ordonnance autorise une souplesse bienvenue dans les litiges internationaux si les principes du droit à un procès équitable sont respectés. Par Olivier Vibert, avocat, Paris
Clôture d’un compte courant garanti par un cautionnement : revirement de la cour de cassation.
L’ouverture ou le prononcé d’une liquidation judiciaire n’a pas pour effet d’entraîner la clôture du compte courant du débiteur.
La convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises exclut les règles nationales, même celles d’ordre public.
Par un arrêt du 17 mai 2023, la Cour de cassation rappelle que la convention sur la vente internationale de marchandises exclut les règles nationales même d’ordre public et notamment celles relatives aux produits défectueux. (C. Cass. 1ère chambre civile du 17/05/2023 n° 22-16290) Une société française vend des produits alimentaires à une société italienne. Ces produits étaient destinés à être intégrés par l’acheteur à d’autres produits.Les produits s’avèrent non conformes.L’acheteur italien assigne donc (via son assureur) le vendeur français en formant une demande de dommages et intérêts sur le fondement juridique de la responsabilité du fait des produits défectueux. La Cour d’appel retient la responsabilité de la Société française sur le fondement des règles françaises en matière de produits défectueux. La Société française se pourvoie en cassation en invoquant la convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises. La Société française invoque en effet l’article 79 de cette convention pour écarter sa responsabilité. L’article 79 dispose que :« Une partie n’est pas responsable de l’inexécution de l’une quelconque de ses obligations si elle prouve que cette inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté et que l’on ne pouvait raisonnablement attendre d’elle qu’elle le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’elle le prévienne ou le surmonte ou qu’elle en prévienne ou surmonte les conséquences ». Dans son arrêt du 17 mai 2023, la Cour de cassation a suivi l’argumentation du vendeur français. La Cour de cassation rappelle tout d’abord que la Convention sur la vente internationale de marchandises est applicable dès lors que les parties sont établies dans deux états signataires et qu’elles ne l’ont pas exclues. « La Convention s’applique aux contrats de vente de marchandises entre des parties ayant leur établissement dans des États différents lorsque ces États sont des États contractants.Dès lors que les parties n’ont pas entendu exclure l’application de la Convention, les questions expressément tranchées par celle-ci sont réglées exclusivement par ses stipulations. » La Cour de cassation reproche ensuite à la Cour d’appel d’avoir statué sur le fondement des règles françaises (d’origine européennes) en matière de produits défectueux alors que la convention internationale est exclusive des autres régimes de responsabilité. Si la convention de Vienne s’applique, le mécanisme de responsabilité du fait des produits défectueux est celui prévu par cette convention. La convention comporte en effet en son article 35 un mécanisme de responsabilité pour les produits défectueux ou non conformes. La Cour d’appel ne pouvait appliquer d’autres règles nationales par conséquent, même si ces règles nationales sont d’ordre public. « Le différend portait sur des dommages causés aux biens d’une société ayant son établissement en Italie par la livraison, par sa cocontractante ayant son établissement en France, de marchandises dont le type ne correspondait pas à celui qui était prévu au contrat, d’autre part, que les parties n’avaient pas exclu l’application de la CVIM, de sorte que celle-ci, dont les conditions de mise en œuvre étaient réunies, régissait de manière exclusive la question de la responsabilité du vendeur, la cour d’appel a violé les textes susvisés . » Cette décision procède donc à un double rappel : Il est donc indispensable d’être vigilant dans le cadre d’une vente internationale pour déterminer si le vendeur et l’acheteur souhaitent que cette convention s’applique. Souvent les parties ignorent que la convention sur les ventes internationales de marchandises est applicable. Il faut ensuite veiller à bien vérifier son champ d’application pour déterminer quelles sont les règles nationales applicables ou non. Relevons pour finir que les dispositions écartées dans ce dossier étaient d’origine communautaire mais la convention de Vienne demeure supérieure en excluant aussi ces règles.